lundi 27 août 2007

Rouge Mécanique


Alors que mes frères règlent des affaires de voisinage, tentant de sauver des relations au combien complexe, tentant de mood-makerer la ville, je me plonge dans le dernier numéro de Télérama. Le mois d'août touche à sa fin. Il est temps de reprendre des lectures laissées à l'abandon, de s'intéresser à nouveau aux articles bobo de mon magazine fétiche...



Je tombe sur cet article poétique du Téléramdam. C'est bien connu pourtant, les faits divers sont une rubrique de chiens écrasés, sordides, voire malsains, donnés en pâture à des lecteurs curieux qui s'ennuient. Mais cette fois, celui-ci vaut le détour, et appelle plus aux vallons lyriques de nos âmes qu'autre chose. Ce petit côté Pierre Pinoncelli au féminin m'a fait fondre. Chacun son dada... :



" C'est le petit scandale de l'été. A la fin du mois de juillet, dans une salle de la collection Lambert en Avignon, une jeune femme visitant l'exposition consacrée à l'oeuvre du peintre américain Cy Twombly dépose sur un monochrome blanc une trace de rouge à lèvre. Interpellée, cette artiste de 30 ans affirme qu'elle a senti que la toile l'appelait en lui demandant : 'Embrasse-moi.'

L'affaire aurait dû être jugée le 16 août dans le cadre d'une reconnaissance de culpabilité mais, puisque la jeune femme nie la dégradation de l'oeuvre et plaide l'acte d'amour (!), le tribunal correctionnel de la ville tranchera le 9 octobre. D'ici là, on l'espère, l'empreinte écarlate aura été effacée puisque même un laboratoire de la Nasa s'est proposé de nettoyer le rouge à lèvre, dont la composition chimique, sachez-le mesdames, est à la fois secrète et extrêmement complexe. Il faut ajouter que Cy Twombly, âgé de 79 ans, est l'un des plus grands artistes vivants et que la toile endommagée fait partie d'un triptyque évalué à 2 millions de dollars. Evidemment, les journaux télévisés - le baiser stupide, et peut-être opportuniste, a eu au moins le mérite de les intéresser à cette exposition magnifique - ont beaucoup insisté sur le prix de l'oeuvre. C'est la face la plus spectaculaire mais aussi la plus médiocre de l'art.

Ainsi, le soir du vernissage, une dizaine d'employés de la galerie américaine Gagosian (la plus grande du monde), vêtus comme des X-Men, veillait sur le peintre comme s'il s'était agit d'un coffre-fort. Vers la fin du repas, le vieil homme, qui s'ennuyait, quitta la table des festivités et alla s'asseoir seul à une autre table. Sur la nappe, en son honneur, le restaurant avait posé des fleurs de pivoines [...]. Cy Twombly prit une fleur dans ses mains et la contempla longuement - son visage devint radieux. Mais l'artiste, émerveillé par la splendeur de la nature, ne vit pas venir vers lui l'un de ces 'Gagosian boys', qui lui ôta la fleur des mains en lui disant : 'Vous aimez cette pivoine, M. Twombly, je vous la fais monter dans votre chambre.' Le vieil homme, désemparé, regarda un instant ses mains vides, puis la salle, puis à nouveau ses mains.

Nul tribunal ne condamnera jamais cet autre geste imbécile. Et l'on se dit que le baiser, plutôt que de souiller l'oeuvre, aurait dû, comme une caresse consolante, être déposé ce soir-là sur le visage triste du poète. "

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