lundi 3 décembre 2007

Pendant ce temps, à Paris


Advienne que pourra, disais-je. Ce matin, j'étais fraîche comme un gardon, malgré une nuit un peu courte. Tu n'es pas tout seul à avoir peu dormi. Je lis que tu as passé ton oral avec succès, je ne suis pas étonnée. Tu as ce don félin de retomber toujo
urs sur tes pattes, dans une farandole de belles cabrioles qui forment les traits de la réussite. Je suis heureuse pour toi. Tu tournes des pages, tu vises la lune, petite étoile, mais soyons modernes, tu décrocheras Mars.

J'étais donc en bonne forme. En buvant mon café, en fumant ma première, en écoutant Marvin Gaye, étrangement pour un matin, tout allait bien. Habituellement, quand je dis que tout allait bien, j'enchaîne sur de désastreuses aventures qui auront ruiné le reste du jour. Pas aujourd'hui. Je pourrais être au trente-sixième dessous. Mais je l'ai déjà connu. Quand bien même, mon valeureux pessimisme répondra qu'on peut toujours descendre d'un cran. Mais je n'ai pas été au trente-septième dessous.

Marvin Gaye fait office d'allumettes pour mes paupières fatiguées. Comme Rominet, j'étais aux aguets, en partant, prête à reprendre le chemin de la faculté. J'étais (une fois n'est pas coutume !) bien optimiste de penser que le blocage serait terminé. En arrivant, j'aperçois des tables renversées, que je connais maintenant par coeur, peut-être même mieux que mes déclinaisons d'allemand (certainement, en fait). Je sais que je n'aurai pas cours. Mais il faut que je rentre dans le saint des saints. Une fois encore, je tombe sur deux bloqueurs coquins, aussi craquants l'un que l'autre. Un peu jeunes, ils doivent être en première année pour oser perdre leur semestre.



Il fallait que je rentre. Depuis quelques jours, une liste est affichée au troisième étage. Sur cette liste, il pourrait y avoir mon nom. Je pourrais être sélectionnée pour partir en Californie l'an prochain. Je me suis défoncée à faire ce dossier, j'y ai mis du temps et une lourde louchée d'espoir. Arrivée devant le papier, il n'y a personne autour de moi. J'ai monté les escaliers quatre à quatre, j'ai hâter le pas. Et me voilà seule, devant une affiche sous verre. Il y a onze noms.

Je ne vois pas le mien. Comme tout un chacun, je tourne les yeux un instant, puis je regarde à nouveau, au cas où j'aurais raté une ligne. Je n'y suis toujours pas. Je ne sais pas quel miracle j'attends ; que mon long patronyme apparaisse, que la théorie du chaos se mette en branle pour satisfaire mes désirs. Rien. Je souris, je fais ce rictus là, celui de la déception légère mais profonde, celui de la mauvaise nouvelle que l'on apprend seul.

Je repars, le pas plus lent. Je descends les escaliers, trois étages, environ soixante marches qui me ramènent irrémédiablement au sol. Les deux croquants me lancent un « Alors ? », je renvoie un « Bah non... ». Ils sont désolés. Je sais. Si j'étais dans un film américain, je répondrais « Moi aussi ». Mais si j'étais dans un film américain, je pourrais voir se dessiner devant moi le visage californien. Ces traits que je m'étais esquintée à suivre, à deviner. « Old is beautiful », qu'ils disent. Je réponds jeunesse ennemie.

Je quitte le lieu des lieux, mais un instant, je m'arrête au coin d'une rue. Je déambule, je fais trois quatre cents pas, je ne dis rien, rue de la Clef, je fais mon petit deuil. Marvin Gaye résonne encore, pour peu, il serait devant moi, chanterait rien que pour ma peine, sourirait et je lui sourirais. Après avoir tourné sur place comme un lion dans sa cage, je reprends curieusement du poil de la bête, et je m'en vais, pour de bon, loin de ce lundi matin chagrin.

Je lis Italo Calvino, Si par une nuit d'hiver un voyageur. Je manque de rater ma station, je saute hors du métro, le sac ouvert, le livre ouvert, l'écharpe par terre. Il écrit si bien, sa page 22 me requinque.

En revenant, je trouve un mail de Paris III : « Malheureusement... blabla votre dossier... blabla nous conservons... blabla. » Vieux motard que jamais, les gars... J'apprends plus tard que la concurrence était rude, que les candidatures étaient toutes d'un « très bon niveau », blabla. J'attendrai des jours meilleurs. La Californie attendra des jours meilleurs !

Mon ego n'est pourtant pas trop secoué. Quelque chose a dû changer durant ces dernières années. Il y a quelques temps, j'aurais râlé, pesté, ragé, hainé puis pleuré. Aujourd'hui, mes algorithmes ont changé et semblent mieux calculés. Je me fais bouffer le foie avec le sourire... Peu importe les dérives, il faut garder la cap lunaire et rester au clair de la Terre.

Après Marvin Gaye, après Calvino, j'ai trouvé réconfort auprès d'une WiiMote. Expérience : 849. Attention mes gaillards... Je n'ai plus de foie, mais je tiens une sacrée volée !

2 commentaires:

Anonyme a dit…

J'ai commencé Si par une nuit d'hiver un voyageur hier soir ; c'était juste pour souligner la calvino-coincidence!

Delenda Lavingtaine a dit…

Je suis montée à 1102 ce soir, c'était juste pour souligner l'expérience-coincidence!...

"L.A. L.A., big city of dreams,
L.A. L.A., ain't no what it seems",
tout simplement énorme. Je garde ça au chaud pour les moments de depress...