mercredi 12 décembre 2007

Paris III brûle-t-il ?

Assez tergiversé, assez parloté. Il y a une seule et unique chose qui importe en ce moment. Comme d'habitude, ce n'est pas sur ce point que je m'attarde. Mais, face à la situation rocambolesque et inquiétante dans laquelle nous autres étudiants de Paris III nous trouvons, je ne veux plus bavasser de choses et d'autres en toute impunité.


Après huit assemblées générales, le blocage de Censier a été reconduit, et le centre est maintenant en fermeture administrative par décision de la Présidence. Je n'aurai eu au mois de novembre que trois cours tout court, et le mois de décembre s'annonce aussi désastreux. Il y a fort à parier que notre semestre sera invalidé, mais je ne voudrais pas lancer de pessimistes sentences, qui après tout restent pour le moment de l'ordre de la rumeur.


Jusqu'à maintenant, la situation, bien que critique, ne m'inquiétait pas plus que ça. J'ai travaillé d'arrache-pied, histoire de ne pas perdre pied. Ce boulot ne sera certainement pas noté, m'enfin, les neurones, ça ne s'achète pas et ça ne se note pas.


Je m'inquiète. Quand j'ai postulé pour Paris III après mon année de droit, je l'avais élue avec soin. Elle était celle qui enseignait la littérature sous un angle intéressant, celle qui proposait des études de littérature comparée et une licence d'anglais pour le même prix, soit un peu plus de travail mais rien de bien fou quand on a 20 berges. J'avais presque boudé Paris IV, la grande Sorbonne, l'unique, parce que trop classique et plausiblement dogmatique. C'était, je l'admets, un jugement à l'emporte-pièce, mais à l'époque, je pratiquais le préjugé avec beaucoup d'aisance et de plaisir. Toujours est-il que j'étais bien heureuse d'entrer dans l'arêne.


Première année, premier blocage. Le CPE venait de passer sous le manteau de l'article 49.3, celui de tous les maux et de toutes les dérives. Cette provocation Villepiniste a valu à Censier un blocage d'environ un mois, si mes souvenirs sont bons. Les cours étaient suspendus, et moi, j'avoue que je flânais sans savoir trop quoi faire, à part peut-être profiter du soleil et de l'insouciance du printemps. J'avais confiance, étrangement, en l'institution universitaire, pour qu'elle sache se retourner et prendre les décisions adéquates pour la poursuite/reprise du semestre.


Le blocage a cessé, je ne me souviens plus trop comment, certainement en assemblée générale. A l'époque, je vivais sur la planète littérature, et tout désordre estudiantin m'en touchait une sans faire grimacer l'autre. Je mens un peu, ou j'exagère, car je me souviens maintenant très bien d'une, voire plusieurs conversations houleuses avec mes camarades et amis étudiants. J'avais une position ferme et claire, j'étais contre cette loi discriminatoire et anti-constitutionnelle. Je ne pouvais pas accepter, comme pas mal d'autres esprits, que la tranche « moins de 26 ans » soit soumise à une réglementation particulière, ou du moins, que les entreprises et autres patrons puissent contourner des principes fondamentaux du droit du travail. Enfin, je ne vais pas revenir sur ce sujet. Il est trop loin, il est trop tard. Une fois Censier décoincé, les cours ont repris, sans aucun report des partiels. Il nous restait trois semaines, nous avons fait les trois semaines. Le programme, lui, a subit quelques tortures.


Concernant le blocage, je n'avais pas d'avis particulier, égoïstement persuadée que j'aurais de toute façon mon année, quelqu'en soit le moyen. J'étais prête à tout. Je bossais, aussi. Je passais trois soirs de la semaine la tête sur ma caisse à Rivoli, j'avais d'autres clients à fouetter, il faut croire.
J'ai décroché mon année avec mention, non sans déclarer la guerre à l'administration. Mais ça aussi, c'est trop loin et il est trop tard. Le blocage n'a pas joué en ma défaveur.


L'an dernier, en civilisation américaine, j'ai lutté, nous avons tous lutté. Il s'agissait là d'une matière sans grand relief, comprendre ici qu'il fallait seulement posséder une petite montagne de connaissances (type vosgiennes, rien de bien fou), que nous n'avions pas et que nous aurions dû avoir. Le contre-coup du blocage se faisait sentir. Nous avons dû rattraper le programme du semestre perdu, et de ce fait, aussi complexe et vaste soit-elle, parcourir l'histoire de la naissance des Etats-Unis d'Amérique. Nous avons sauvé les meubles, et les crédits, non sans mal.


Cette année, dès la rentrée, la pression était présente dans les couloirs de Paris III, et dans les cours, lorsqu'ils étaient interrompus par les étudiants qui deviendraient quelques semaines plus tard les « grands noms du mouvement ». Un sourire ou de l'inattention se dessinait sur les visages. Idem, j'avoue que je n'y croyais pas. Nous avions déjà tâté les conséquences d'un blocage, et n'étions de facto pas très chauds pour réitérer l'insouciance inconsciente de vacances anticipées ou allongées. D'autant plus que la LRU semblait poser moins de problème à une majorité d'étudiants.


Après tout, les présidentielles venaient d'avoir lieu. Nicolas Sarkozy l'avait emporté sans ambiguïté, et son gouvernement aurait toute la légitimité et la marge de manoeuvre que lui confère une démocratie. Je n'ai évidemment pas suivi le mouvement populaire du 5 mai dernier, car la droite ne m'attire pas le moins du monde et encore moins Mr Sarkozy ; de cette droite, j'en fais une caricature grossière dans mes rêves, celle des travers humains rendus recevables par la simple existence d'un parti politique ; de notre président, je ne fais aucune caricature, mais développe un avis personnel qui déplore ses faits et gestes, opportunistes, malins, sournois, trop aisés, sans le moindre soupçon de finesse, mais après tout, business is business. Je dresse ici un portrait mal taillé et peu fin, mais là n'est pas mon propos, et mes opinions politiques s'arrêteront là pour ce soir.


Toutefois, il reste sans conteste que cette majorité « historique » en faveur de Nicolas Sarkozy, n'est le résultat que d'une opinion. Il n'y a ici aucune autre justification, ni le risque d'un Le Pen au commandes de l'Etat, ni celui d'un Chirac à nouveau au pouvoir. Les alternatives étaient relativement molles, donc peu dangereuses. J'oserais avancer ainsi que ce vote s'est déroûlé en toute connaissance de cause, et s'il est une chose que je peux louer chez notre président, c'est son honnêteté brutale concernant ses projets de loi.


Nous savions que la LRU était en chantier. Le syndicat majoritaire des étudiants, l'UNEF, a négocié cet été dans le bureau de Mde Valérie Pécresse concernant cette loi, et en est ressorti. La loi a été discutée au préalable, et certains éléments jugés inacceptables ont été retirés. Et voilà que les facultés se bloquent et se déchaînent. Voilà que l'UNEF se rallie à leur cause !


Je ne prétends pas que les étudiants de Rennes, Nanterre, Tolbiac ou Censier sont de sombres crétins, je souligne mon incompréhension face à l'incohérence de la situation. Pourquoi cette réaction à rebours ? Pourquoi personne n'a protesté contre la LRU au mois d'août, si dangereuse, inacceptable, anti-démocratique soit-elle, si elle signe l'arrêt de mort de la recherche ? L'argument des vacances et de la pause estivale n'est pas recevable. Dans un tel état de rébellion, tout étudiant, chercheur, professeur ou universitaire aurait dû clâmer son opposition dès le début des négociations. L'argument d'une démédiatisation ne me convient pas non plus. Je trouverai un article du Monde qui évoque la rencontre entre l'UNEF et Valérie Pécresse. Alors quoi ? Pourquoi maintenant ? Une mobilisation nécessite du monde, mais ce monde ne se récupère pas dans la masse de l'université, il se récupère dans une manifestation, et si personne n'est là, l'accord est tacite, la majorité l'emporte, aussi silencieuse soit-elle. C'est la loi de l'opposition.


Cette loi, la fameuse LRU, ne me semble pas dénuée de sens. L'amalgame est facile, ces derniers temps. Je précise donc que trouvant cette loi non dénuée de sens, je n'affirme pas par la même mon accord de principe envers le gouvernement actuel. Si ce reproche m'était fait, j'aurais le sentiment d'appartenir à un nouvel axis of evil. Il s'agit d'un procès d'intention, donc je passe.

La LRU, en l'état, ne bénéficie pas d'une marge de manoeuvre considérable. Il ne s'agit que d'une réponse bien mince aux enjeux que pose actuellement l'université française. Elle se trouve dans un état déplorable, tant sur l'aspect financier qu'académique. Nous nous trouvons au 70ème rang, si je ne me trompe pas, du classement mondial des universités par l'Université de Shanghaï. C'est donc dire que la Sorbonne ne rayonne plus comme « naguère », ce temps reculé que je ne saurais situer.


C'est donc dire que nos grandes écoles sont bien plus compétitives et efficaces – et chères – que notre socle universitaire. Ces grandes écoles, Sciences Po, Polytechnique, HEC, bénéficient de financements privés, qui ne semblent pas signer leur arrêt de mort. L'université nécessite un financement massif, bien plus que ce que l'Etat ne pourra ni ne voudra jamais lui accorder. Dans le meilleur des cas, c'est une question de temps.


A cet argument, on me répond que les universités ne sont pas comme les grandes écoles, et que la recherche serait gravement menacée par des financements privés. Alors quoi ?! A cela, je réponds une seule et unique chose : si l'université ne peut supporter le financement privé, à quoi est-elle menée ? L'Etat ne peut pas subvenir à tous ses besoins, et ne le fera pas. Sauf gouvernement communiste et goulag pour patrons ce qui, en l'état actuel du PCF, me semble peu cohérent.


L'université court à sa perte en rejetant toute alternative de financement, car l'essentiel du problème reste l'argent, l'investissement, au-delà de l'image et de la réputation qui ne sont que les conséquences d'un bâtiment qui tient debout, de professeurs mieux payés, de chercheurs mieux accompagnés et d'étudiants mieux informés sur la réalité d'un engagement dans des études universitaires.


L'université court à sa perte depuis trente ans. Ne rien faire, abroger, c'est signer son arrêt de mort à plus ou moins courte échéance. Je pensais les étudiants plus téméraires et moins craintifs, je pensais que les étudiants faisaient des études dans le but de trouver un boulot, dans une perspective réaliste, sachant pertinemment qu'une majorité de diplômés termine dans le secteur privé. J'étais pragmatique, réaliste, pas utopiste et rêveuse pour un sou. Je le suis toujours. Dans la marche du monde, il n'est pas acceptable que l'université reste telle qu'elle est. Le monde change, l'économie change, les étudiants doivent changer. Quitte à être cynique, la bouffe et les patrons ne font pas le tri. Je pense qu'il est trop tard pour reculer ou rester en place, l'université brûle alors que le monde tourne, elle ne suit plus, les étudiants ne suivent plus, c'est un huis-clos qui se délabre.


Ecrire tout ça fait lourde peine au coeur.


3 commentaires:

Anonyme a dit…

Ravie Leeloo de lire cet article qui résume bien la situation, notre situation plutôt bancale en ce moment et toutes les questions qui l'entourent...Espérons aussi que cette situation ne nous empêche pas de profiter du temps que nous avions prévu de passer à Madrid avec nos chers Charly et Arthur en janvier !
J'espère te voir bientôt en tout cas !!
Bises miss'

Delenda Lavingtaine a dit…

Espérons que Bosredon, qui lâche ses couilles dans la foule, maintiendra l'inter-semestre de peur de perdre le reste.

"Alors, comme je n'étudiais rien, j'apprenais beaucoup."

:-D

Arthur a dit…

Ironie de la situation, je n'avais pas pris le temps de lire ce poulet quand tu l'as publié, et je le découvre en ce 23 décembre, après l'annonce de la suppression de votre inter-semestre à Paris III pour rattraper le retard lié au blocage.
Ce texte me console quelque part, car il est celui que j'aimerais pouvoir déclamer depuis deux mois... Il est parfait.
Là, tout est résumé, et, oui, cette année, les bloqueurs nous auront bien fait ch***
(soupir)