mardi 20 novembre 2007

Dirty old town

Ecoute-moi, petit. Il y a très longtemps, tu n'étais pas encore né et à peine dans les genoux de ton père, les restaurants étaient fumeurs. Beaucoup de gens clopaient dans la rue, dans les cafés, dans les discothèques.


C'était le temps de ma jeunesse, quand on sortait d'une boîte de nuit les yeux injectés du sang de la fumée, quand nos belles vestes en velours côtelés, qui étaient gravement in, puaient le tabac froid. Alors on disait qu'on avait passé une bonne soirée. On se séparait, on mettait toutes nos fringues à la machine et on fermait nos yeux rouges pendant plusieurs heures. Pour les fumeurs, c'était le bon vieux temps.


Quand on sortait dans la journée, surtout en plein hiver, on avait pour coutume de se réfugier dans un bistrot du quartier latin, rue Mouffetard ou avenue des Gobelins. On commandait des grands crèmes à la chaîne, et on grillait nos tiges consciencieusement, l'une après l'autre. Le serveur était inbuvable, nous jetait les cafés à la tronche, mais il ne disait rien pour la fumée, rien pour l'odeur, rien pour ses yeux rouges. C'était le service à la parisienne.


Quand on voulait fêter quelque chose, on allait se faire une bonne bouffe dans ces chaînes de restaurants que tu n'as jamais connus. On nous servait un verre, on allumait une cigarette. On mangeait la barbaque et les frites, on allumait une cigarette. On commandait les desserts, on allumait une cigarette. On buvait le café, avec parfois le petit Spéculos, on allumait une cigarette. On payait, et en guise de salutation, on quittait tout sourire notre cheminée de table. En sortant, surtout en plein hiver, on en rallumait une, et on se réchauffait le coeur avec, en regardant la fumée dense sortir de nos bouches toutes rondes.


Quand j'étais jeune, on me disait : « Ecoute-moi, petite. Il y a très longtemps, les cinémas et les avions étaient fumeurs. » Je répondais que ça devait être horrible. Toute cette fumée en l'air, toutes ces vies en l'air.


Je sais ce que je te dirai bientôt, et ce que tu me répondras.


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